Que faut-il collectionner parmi les timbres de la Libération ?
Newsletter de la maison Calves #51
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Que faut-il collectionner parmi les timbres de la Libération ?
Une question nous est posée régulièrement : parmi les émissions de la Libération, lesquelles méritent réellement d’être collectionnées et lesquelles relèvent davantage de la fantaisie ? En ce qui nous concerne, nous partageons en grande partie l’avis d’Edmond Locard – le même Edmond Locard que celui qui a eu l’honneur d’être timbrifié en 2014 en tant que fondateur du premier laboratoire scientifique au monde. Son analyse, que nous reproduisons ci-dessous, figure en préface des Timbres de la Libération de Jacques F. Lion, un ouvrage incontournable que nous ne saurions trop vous recommander. En effet, si le catalogue de référence pour les émissions de la Libération reste aujourd’hui le Mayer, celui-ci manque de contenu détaillé, tandis que le Lion regorge d’informations et d’anecdotes sur chaque émission. Pour vous en convaincre, nous vous en proposons un extrait en fin de newsletter, consacré à l’émission de Bourg-d’Oisans. Bonne lecture !
“Dans les premiers jours qui suivirent l'expulsion des armées allemandes, le service postal français fut extrêmement bouleversé. Cette période de troubles ne comporta, comme on peut le croire, qu'un très petit nombre d'échanges postaux. Les ponts coupés, les aiguillages détruits, les gares incendiées, les rails arrachés, étaient de bien mauvaises conditions pour l'acheminement normal des correspondances. Toutefois, une explosion de haine contre les Barbares et contre ceux qui les avaient aidés ou qui simplement les avaient tolérés exigea que les timbres-poste du régime provisoire disparussent. Il en résulta des émissions postales diversement légitimes et qui, si l'on en comprend très bien la raison, n'étaient du moins pas absolument nécessaires.
Bien entendu il n'était pas question de graver des vignettes inédites. Tout manquait : le matériel et le papier même. On se contenta de surcharger les timbres existant dans les bureaux. On vit ainsi éclore dans de nombreuses villes et même dans des villages des provisoires dont la collection est infiniment intéressante du point de vue historique.
Mais disons les choses comme elles sont. L'homme n'est pas parfait ; même à l'heure du triomphe. A côté des héros, il y eut les malins. Pendant que tous se réjouissaient de la liberté reconquise, quelques-uns songèrent que l'occasion était propice de gagner honnêtement un peu d'argent. Certaines émissions furent purement spéculatives. Surtout le démon de la philatélie veillait. N'était-ce pas le cas d'émettre et de monopoliser d'extraordinaires moutons à cinq pattes et d'enrichir son album ? C'est ainsi qu'à l'origine de beaucoup de tirages, on vit des présidents ou des secrétaires généraux de sociétés philatéliques s'encadrer d'un receveur des postes bienveillant, et d'un huissier pour acquérir des surcharges patriotiques, non seulement sur les timbres courants, mais sur des vignettes dont l'emploi, en une telle période, était un peu plus que problématique. De là les cinquante francs Pétain et les timbres à surtaxe embellis d'un nom de sous-préfecture, ou même de hameau.
Il s'agit aujourd'hui de voir clair ; il y a eu, à ma connaissance 129 émissions de la Libération. Dans cette masse, qu'est-ce qui vaut la peine d'être retenu ?
Mettons d'abord à part les trois tirages officiels ; j'entends par là ceux qui ont été décrétés par les représentants réguliers de l'Etat, c'est-à-dire les commissaires régionaux du Gouvernement et dont la parution a été annoncée à l'Officiel. Ce sont les séries de Lyon et de Bordeaux et le timbre de Lille. Ceux-là peuvent et doivent figurer dans les albums et parmi les émissions régulières, dans les catalogues.



Dans la masse restante, le départ du légitime est infiniment plus délicat. Il y a eu, il est vrai, une sorte d'acte de légitimation publié par l'administration centrale des postes. Rien de plus étrange que cette reconnaissance d'enfants naturels, où les plus extraordinaires corniauds sont mélangés à des adultérins avouables. Nous n'en tiendrons raisonnablement aucun compte.

Ce qu'il faut considérer, c'est l'acte de naissance de l'émission, quand elle en a un. Tout d'abord, on peut estimer légitimes les surcharges commandées par un directeur régional des Postes, quelles que soient les techniques de cette surcharge, même si elle a été faite avec un composteur à main. Ainsi le directeur régional de l'Indre-et-Loire a décidé que l'on n'utiliserait plus les timbres du type Pétain sans les surcharger « R.F.». Que, même dans de très petits bureaux, on ait obéi, cela légitime des émissions comme celle de Lignières ou celle de Pernay.

Ailleurs, le tirage a été entouré de toute les garanties imaginables de légalité. C'est que, précisément, l'initiative ne venait plus de l'administration, mais d'une société philatélique ou de spéculateurs.
Dans d'autres cas, les émetteurs n'avaient aucune prétention à faire figurer leurs produits dans les catalogues. Ce qu'ils voulaient, c'est vendre tout de suite et aussi cher que possible un certain nombre de timbres et de cartes, pour employer le bénéfice à une œuvre urgente de secours à leurs soldats, à leurs blessés, ou aux victimes des bandits que l'on venait de mettre en fuite. Les cartes de l'Oisans (…) émises en pleine domination allemande, les cartes des ambulances de Briançon, les cartes des soldats de Cluny n'ont pas d'autre origine. Et rien n'est plus respectable.


Ailleurs, la tourmente passée, on a émis des timbres dont on savait très bien qu'ils ne serviraient pas à l'affranchissement, mais dont la vente devait arrondir les gains d'une kermesse ou d'une fête de charité. C'est le cas pour une série de Nice.

Et puis, il y a eu les plaisantins ; les marchands de timbres qui ont fait surcharger quelques vignettes à leur profit exclusif et personnel ; les échangistes qui ont créé leur petite série pour l'offrir aux camarades en échange des valeurs officielles ; les hannetons pour qui tout fait social est une occasion de brouillonner et qui ont prix d'assaut un bureau de poste de village en exigeant que l'on surchargeât quelques timbres à leur gré. Il n'est d'ailleurs pas défendu de croire qu'en dehors de toutes ces catégories, il y a eu simplement de braves cœurs qui voulaient manifester leur joie de ne plus voir la brute exécrée et qui ont imprimé ou fait imprimer sur leurs timbres « La France est Libre » ou « Vive la France ». Comme ils ont mis des drapeaux aux fenêtres ou comme ils auraient mis des lampions s'ils en avaient eus.

Concluons. - Il y a parmi les cent et quelques surcharges de la Libération trois émissions (Lyon, Bordeaux, Lille), qui sont des timbres-poste réguliers et normaux. Tout le reste constitue une admirable et passionnante page d'histoire. (…)
Edmond Locard (1946)”
Témoignage sur les circonstances de l’émission de Bourg d’Oisans
L’un des grands atouts de l’ouvrage de Jacques F. Lion est qu’il s’appuie sur des récits de première main, recueillis auprès de personnes ayant vécu les événements et encore vivantes au moment de sa rédaction. En voici un exemple, consacré à l’émission de Bourg-d’Oisans.
“Cette série a été faite dans un but de bienfaisance et non de spéculation. Il fallait aider les gars du maquis et principalement venir en aide aux fonctionnaires : gendarmes, instituteurs, etc..., qui spontanément s'étaient rangés dès le début du côté des « résistants ».
Un paysan de Bourg-d'Oisans avait pour sa part acheté 25 séries complètes. Rentrant chez lui, il les rangea sans arrière-pensée dans le trou d'un mur donnant dans sa cour en y mettant simplement un caillou dessus. Le 12 août, à 6 heures du soir, les Allemands bombardèrent Bourg-d'Oisans, sans d'ailleurs y faire grand mal, mais à 8 heures, ils arrivèrent dans le village. Notre paysan qui les regardait passer d'une fenêtre de chez lui fut assez surpris de voir un groupe de « Fritz » se battre pour ramasser des cartes qui jonchaient sa cour. Il comprit aussitôt que la déflagration d'une bombe tombée pas très loin de chez lui avait éparpillé les fameuses cartes achetées un mois auparavant et auxquelles il ne pensait plus du tout. Il eut une frousse terrible des répercussions de son oubli, car chaque timbre portait la Croix de Lorraine, mais les boches plus avisés que lui s'emparèrent de tout ce qu'ils trouvèrent sans rien lui dire.
D'autre part, j'ai cherché à acquérir d'autres séries. Connaissant nombre de gens a Bourg et dans les villages environnants, j'ai fait, cet automne, une tournée de prospection. Neuf personnes sur dix m'ont déclaré avoir caché, soit dans les bois, soit dans leur jardin, ces cartes trop compromettantes lors de l'arrivée des Allemands dans le pays. La plupart les avaient enterrées telles quelles et les avaient laissées ainsi pendant des semaines et même des mois. Inutile de vous décrire dans quel état elles se trouvent maintenant.”

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merci, très intéressant