Postes serbes : démêler le vrai du faux
Newsletter de la maison Calves #74
S’il est un chapitre du catalogue Spink/Maury qui a de quoi dérouter - d’autant que les indications y sont peu détaillées - c’est bien celui consacré aux timbres français utilisés par la poste serbe, entre 1916 et 1918. Certes, on connaît les émissions de gouvernements en exil ayant utilisé des timbres français surchargés pendant la Première Guerre mondiale, comme ce fut le cas pour le Monténégro. Mais ici, la situation est d’une tout autre nature : ces timbres n’ont pas été utilisés en France, mais sur la petite île grecque de Corfou, à deux pas de l’actuelle Albanie. Surtout, et l’on peut l’affirmer sans détour, ces timbres ne doivent être collectionnés que sur lettres ou sur grands fragments, car ils ont été l’objet de fabrications d’époque. Alors comment y voir plus clair ? Il se trouve que nous venons de rentrer en stock un bel ensemble de plis authentiques de la poste serbe ; nous vous proposons donc de revisiter cet épisode méconnu de l’histoire postale, en prenant ces pièces comme fil conducteur. Bonne lecture !
Serbie, 1915 : un royaume en déroute, un service postal qui s’effondre
En novembre 1915, le roi Pierre Ier, l’armée serbe et des centaines de milliers de civils quittent précipitamment leur pays, pris en étau entre les forces austro-hongroises et bulgares, pour gagner la côte adriatique. Dans la débâcle, tout le matériel postal demeure sur le territoire occupé : timbres, cachets, équipements… rien ne peut être emporté.


Une fois installés sur l’île de Corfou en févier 1916, les Serbes conservent la possibilité d’expédier du courrier vers l’étranger grâce aux missions françaises, aux forces britanniques et à la poste grecque. En revanche, il leur est totalement impossible de communiquer avec leurs familles restées en Serbie : les autorités d’occupation interdisent strictement tout échange. Cette rupture durera jusqu’à l’été 1916.
Sous la pression internationale croissante, l’Autriche-Hongrie et la Bulgarie acceptent finalement la reprise partielle du service postal à destination de la Serbie - mais au prix d’un système d’acheminement complexe. Chaque lettre doit d’abord être expédiée vers un pays neutre, d’ou elle est ensuite réexpédiée sans aucune mention d’origine afin de dissimuler son véritable point de départ. Une agence militaire austro-hongroise assure enfin la distribution sur place. La Suisse s’impose très vite comme la plaque tournante de ce trafic postal.
Dans ce dispositif, un homme, notamment, joue un rôle clé : l’entrepreneur suisse Christian Vögeli. Fondateur de la Banque Serbo-Suisse, également consul de Suisse en Serbie, il accepte d’agir comme boîte aux lettres pour ceux qui n’ont aucun correspondant sur place. Les exilés de Corfou, ainsi que les soldats serbes engagés au sein de l’Armée d’Orient lui envoient - à lui ou à des membres de sa famille - des centaines de plis que son secrétariat ouvre, avant de réexpédier le contenu vers la Serbie occupée.

On prendra pleinement la mesure du rôle de Christian Vögeli en 1929, lors de la découverte de ses archives - retrouvées, de manière totalement improbable, chez la couturière d’un de ses amis. Elles comprenaient plusieurs centaines d’enveloppes vides postées à Corfou, dont le contenu avait été réexpédié en Serbie occupée.

Le casse-tête de l’affranchissement : quels timbres utiliser ?
En 1916, lors de la reprise des relations postales, les Serbes ont à leur disposition une série de timbres illustrée par les portraits du roi Pierre Ier et du prince régent Alexandre, dont l’impression avait été effectuée à Paris. Mais le gouvernement serbe en exil refuse catégoriquement qu’elle soit utilisée tant que le territoire national n’aura pas été libéré. Sollicitée, la Poste militaire française accepte de fournir aux Serbes les timbres dont ils ont besoin.

Exactement sept valeurs sont mises à leur disposition : les 5 c, 10 c, 25 c et 35 c Semeuse camée, le 15 c Semeuse lignée, ainsi que les 40 c et 50 c Merson. Ces timbres sont oblitérés à l’aide d’un cachet serbe dépourvu de toute indication de lieu ou d’un des cachets militaires français mis à disposition par la France à l’armée serbe (notamment le secteur 504 - armée serbe à Salonique). S’y ajoute, le plus souvent - mais pas systématiquement - une griffe « Postes serbes », destinée à attester leur usage dans le cadre du service postal en exil. Lorsqu’elle est appliquée, cette marque se retrouve fréquemment sur les timbres eux-mêmes, même si ce n’est pas une règle absolue. Ce dispositif restera en vigueur jusqu’en octobre 1918.


Août 1918 : un entrefilet dans L’Excelsior déclenche une dérive inattendue
En France, le public ignore tout de la situation à Corfou. Un jour d’août 1918 pourtant, un court article paru dans L’Excelsior affirme que les réfugiés serbes affranchissent leur courrier avec des timbres français surchargés « Postes serbes ». Un philatéliste français y voit aussitôt une opportunité commerciale. Il expédie à Corfou des planches entières de quatorze valeurs françaises alors en circulation - du 1 c. Blanc au 1 fr. Merson - en demandant qu’on leur appose la fameuse griffe et qu’on les oblitère « pour plus d’authenticité ». Curieusement, la poste serbe accède à sa requête.
Le voilà devenu une sorte de « représentant exclusif » des postes serbes en exil, alimentant le marché philatélique en timbres surchargés qu’il présente comme authentiquement utilisés, au point que les catalogues de l’époque les répertorient.
Mais trompé par l’article de L’Excelsior, notre homme ignorait deux éléments essentiels. D’une part, la griffe était appliquée uniquement après que les timbres avaient été collés sur le courrier : il est donc impossible de trouver des timbres avec gomme d’origine intacte porteurs de la griffe ‘Postes serbes”. D’autre part, il ignorait que seules sept valeurs avaient été fournies aux Serbes par la Poste militaire française. Il a donc créé des cas n’ayant jamais existé dans la réalité, à savoir notamment des griffes “Postes serbes” sur des timbres au type Blanc.

Ce qu’il faut savoir pour bien collectionner
En définitive, les timbres français utilisés par la Poste serbe à Corfou constituent un chapitre fascinant de l’histoire postale de la Grande Guerre - mais aussi un terrain miné pour les collectionneurs, en raison des fabrications d’époque que nous venons d’évoquer.
Trois éléments essentiels doivent être gardés à l’esprit. Tout d’abord, tout timbre portant la griffe « Postes serbes » et ayant conservé sa gomme d’origine est nécessairement une fabrication. Ensuite, la même conclusion s’impose - sauf très rares exceptions - pour tout timbre ne figurant pas parmi les sept valeurs officiellement fournies aux Serbes en 1916. Enfin, la manière la plus sûre et la plus enrichissante d’aborder ce chapitre consiste à collectionner les lettres entières. Il faut d’ailleurs rappeler que la griffe « Postes serbes » peut se trouver sur le timbre, ailleurs sur le pli, ou ne pas apparaître du tout sans que cela modifie la valeur postale de la pièce : ce qui prime, c’est l’oblitération serbe ou le cachet de la poste militaire française frappés sur le timbre.

A lire :
Des Semeuses et des Merson dans les Balkans, Claude Jamet, Timbroscopie n°51, 1988.
L’étrange histoire des timbres de France surchargés “Postes Serbes”, Alain Chabanel, Timbroscopie n°119, 1994.
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