Il n’existe pas de meilleur moyen de parfaire sa culture philatélique qu’en se plongeant dans la lecture de la presse et des publications anciennes, dans lesquelles se trouvent quantité d’informations précieuses et érudites.
C’est la raison pour laquelle nous republions chaque semaine une pépite issue de la littérature et que nous la partageons avec vous via notre newsletter.
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Notre newsletter a également vocation à vous tenir informés de nos actualités, telles que les dates de nos ventes flashs ou nos participations à des salons, mais aussi à vous donner des “trucs d’expert”. Lisez-la régulièrement pour ne rien manquer !
Actualités de la maison Calves
Rappel : notre prochaine vente flash de timbres sera mise en ligne jeudi prochain 19 juin à 18h. Ce sera la dernière avant la pause estivale - une occasion à ne pas manquer !
Enquête sur les premiers timbres du Soudan français
Notre newsletter de la semaine dernière, consacrée aux signatures suspectes apposées au dos des timbres, a suscité de très nombreuses réactions. Vous avez été nombreux à nous remercier pour ces informations – parfois inédites – que vous avez jugées utiles et enrichissantes. Nous en sommes ravis !
L’un d’entre vous nous a, par ailleurs, adressé une question tout à fait pertinente : comment Geo Carion a-t-il pu créer de fausses surcharges provisoires de Sainte-Marie de Madagascar, et comment a-t-on pu les croire authentiques ? La réponse tient au contexte de l’époque. À la fin du XIXe siècle, les communications entre la métropole et les colonies lointaines étaient lentes et irrégulières. Il arrivait fréquemment qu’un gouverneur colonial, confronté à une pénurie de timbres d’une certaine valeur faciale, fasse surcharger d’autres timbres disponibles localement. Ces émissions improvisées n’étaient signalées en France qu’avec retard – souvent une fois les timbres déjà écoulés. Dans ce contexte, certains esprits inventifs créaient de toutes pièces des surcharges fictives et les présentaient comme officielles, espérant tromper collectionneurs et presse philatélique. Le pot aux roses finissait toujours par être découvert… mais entre-temps, le faussaire avait eu le temps d’engranger de confortables bénéfices.
Le cas des premiers timbres du Soudan illustre bien ce phénomène. C’est leur histoire que nous vous proposons de (re)découvrir à travers un article passionnant de Maurice Chevassu, publié dans L’Écho de la Timbrologie du 31 août 1947, que nous reproduisons aujourd’hui. Cette publication répond également à une demande formulée par plusieurs d’entre vous1 lors de notre dernier sondage : lire davantage d’articles consacrés aux anciennes colonies françaises. Bonne lecture !
“(…) Pour bien comprendre les conditions dans lesquelles ces surcharges ont té émises, ainsi que que la rareté de la documentation les concernant, il est indispensable de rappeler ce qu’était le Soudan français en avril 1894.
Faidherbe, Galliéni, Binger avaient poussé progressivement nos postes du Sénégal le long des rives du Haut-Sénégal. Le 18 août 1890, cette partie du Haut-Sénégal recevait le nom officiel de Soudan. Mais le Soudan ne devient autonome que le 27 août 1892. (…) En novembre 1893, le gouvernement français décide de remplacer la direction militaire par un gouverneur civil, et M. Albert Grodet quitte la France en novembre 1893 pour Kayes, où est établi le siège du gouvernement du Soudan.

A cette époque, les timbres utilisés au Soudan étaient encore les timbres coloniaux au type Alphée Dubois. Une émission spéciale au type groupe, portant l’inscription Soudan français, était prévue, mais elle ne devait paraître à Paris qu'en mai 1894, et elle ne devait parvenir à Kayes qu’à la fin d'août. Vu l'apparition prochaine de la série au type groupe, l'administration centrale n'avait pas jugé utile der renouveler le stock soudanais de timbres au type Alphée Dubois.
C'est dans ces conditions que le Soudan se trouva un beau jour démuni des deux valeurs d'usage courant, le 15 centimes, destiné à l'affranchissement du service pour l'intérieur et la métropole, le 25 centimes, destiné à la correspondance avec l'étranger.
Usage courant est beaucoup dire. Le Soudan était à l’époque encore à l'état sauvage. Les troupes en opération y avaient la franchise postale, au moins pour les lettres ordinaires et le nombre des civils appelés à user d’un affranchissement par timbre-poste était extrêmement restreint. En fait, les deux timbres que le gouverneur général jugea indispensable de transformer par surcharge en timbres à 15 et 25 centimes suffirent aux besoins pendant trois mois, bien qu'ils n'aient représenté à eux deux que mille neuf cent cinquante exemplaires.
Ils se trouvèrent cependant complètement épuisés à la fin d'août, comme en fait preuve le rarissime cachet dont la collection de Vinck possédait deux exemplaires : “TAXE PERÇUE 0.15 (ou 0.25). Manque de timbres dans la Colonie ». Ces cachets sont accompagnés de l'oblitération KAYES. SOUDAN FRANÇAIS. 22 et 26 AOUT 94. (…)
L'étude de la surcharge elle-même est rendue très difficile par la rareté des exemplaires et surtout par la rareté des exemplaires certainement authentiques. Nous manquons ici complètement de la documentation si précieuse qu'ont pu réunir à l’époque, pour d'autres colonies, les grands collectionneurs, quelque peu spéculateurs, qui avaient pris l'habitude de faire venir des colonies les nouveautés en feuille des qu'ils en apprenaient l'existence. Le plus important d’entre eux a été Le Roy d’Etioles. Or, dans la vente Le Roy d’Etioles, qui eut lieu en 1906, à côté de feuilles coloniales anciennes que ce stock possédait en nombre souvent impressionnant, il n’existait que trois timbres du Soudan, un 15 centimes et deux 25 centimes, tous trois usés. Dans le stock Bernichon, il y avait tout juste un 15 centimes et Ferrari, pour lequel Mahé faisait des tours de force, avait en tout et pour tout deux timbres défectueux, un 15 centimes usé, un 25 centimes neuf.
Les surcharges ont, en effet, été tirées en si petit nombre, et les correspondances entre la métropole et le Soudan étaient si lentes, que les ravitailleurs habituels ont sans doute vu leurs demandes parvenir trop tard au Soudan, à moins qu’ils se soient heurtés à une observance rigoureuse de la consigne du gouverneur, qui prescrivait formellement que les timbres ne serviraient qu’à l’affranchissement au guichet fait par l’agent des postes lui-même.
La lenteur des communications entre la métropole et Kayes est soulignée par ces passages que j’extrais des documents que m’a fournis le colonel Bouliol. Encore, postérieurs de trois années à la date qui nous intéresse, sont-ils probablement en deçà de la réalité. Après avoir atteint le Sénégal par un bateau dont les départs n’étaient pas très fréquents, “on gagnait d’abord Saint-Louis en l’Ile, sur le fleuve Sénégal, par un tortillard dont les wagons étaient de véritables casse-reins où les occupants cuisaient à feu vif sous l’action d’un soleil de plomb. A Saint-Louis, on s’embarquait sur un affreux vapeur qui remontait le Sénégal en traînant à sa remorque une ribambelle de chalands, chargés de matériaux de construction, ce qui n’était pas fait pour accélérer sa marche. Le voyage durait de dix à quinze jours entre deux rives de sable chauffés à blanc. Ceux qui montaient à Kayes par le bateau étaient encore des privilégiés car, lorsqu’il était en réparation, ce qui lui arrivait de temps en temps, les voyageurs devaient s’embarquer sur des chalands qui avançaient poussés à la perche ou tirés à la corde ; alors il ne fallait pas moins d’un mois pour arriver à destination.” (…)
Bref, il semble bien qu’en dehors de ceux de la lettre annoncée par Maury dans le Collectionneur de Timbres-poste de mai 1894, lettre qui lui avait été envoyée par ‘un aimable correspondant de Kayes”, un nombre infime de ces timbres soit parvenu à paris aux mains des récolteurs habituels.
Il arriva que l’un d’eux (on a laissé entendre qu’il s’appelait A…. D…) eut l’idée, qui peut-être lui avait réussi antérieurement , d’envoyer au Soudan une feuille de timbres en demandant qu’on lui appliquât la rarissime surcharge. Mais on était à Paris si mal renseigné sur ces timbres qu’il eut la fâcheuse inspiration d’envoyer, en guise de timbres à 0.75 centimes, une feuille de cinquante timbres au type Sage non dentelés. Savait-il déjà que Kayes ne répondait pas aux demandes qu’on lui adressait ? Il envoya sa feuille à Médine, qui se trouvait être le seul point au Soudan où il y eût réellement des civils.
Médine, j’emprunte ces détails toujours au colonel Bouliol, était une petite ville commerçante très vieille, antérieure à la conquête du Soudan, et située sur le Sénégal, à vingt kilomètres environ en amont de Kayes. C’était alors, et depuis longtemps, le marché principal du commerce de la gomme pour l’Afrique occidentale. Les Maures de la rive Nord du Sénégal, après la récolte de la gomme, l’apportaient à Médine par chameaux. La, les marchands de Saint Louis du Sénégal la leur achetaient, soit directement soit par l’intermédiaire d’agents à leur service, formant un petit groupe d'une cinquantaine de civils environ.
C’est sans doute à l'un d'entre eux que fut adressée la fameuse feuille. Comment celui-ci parvint-il à la faire surcharger ? et par une surcharge qui, à en juger par les quelques photographies que j'en possède, semble très proche de la surcharge originale, bien qu'elle en diffère par l’épaisseur de son trait horizontal ? Mystère. A en croire Marconnet, la pierre lithographique utilisée pour les surcharges originales aurait été brisée après le tirage des mille neuf cent cinquante surcharges, mais un cliché entier de la surcharge serait tombé aux mains d'une personne qui l'aurait rapporté à Paris, et c'est à Paris que la surcharge aurait été faite sur deux ou trois feuilles de 75 centimes type Sage non dentelé. Il semble cependant que l'oblitération de Médine ait bien été exécutée avec le cachet original. Tous ces timbres, qu'ils aient été frauduleusement surchargés à Médine ou à Paris, sont en effet oblitérés du même cachet à date : MÉDINE. SOUDAN FRANÇAIS, et à la même date du 15 avril 94.
Pendant longtemps ces non dentelés ont été considérés comme authentiques, Il y en avait un à la vente Bernichon, un autre à la vente Ferrari, et l'on en vend encore un de loin en loin, sans doute comme curiosité, puisque je note qu'à la vente de Vinck en 1928, un de ces timbres a été adjugé 775 francs.

De tout ceci, il résulte que peu de timbres coloniaux ont été aussi peu connus à leur origine, et aussi parcimonieusement mis à la disposition du monde des collectionneurs. Il semble bien qu'à de rares exceptions prés tous soient partis sur des lettres, les unes à destination du Soudan, les autres à des destinations plus lointaines. Combien de ces lettres ont eu la chance de tomber entre les mains de collectionneurs ? Combien des timbres conservés ont-ils été prélevés sur les enveloppes sans être amincis ou édentés ? Un nombre certainement minime. Encore est-il fort probable que beaucoup d'entre eux n’étaient déjà plus en état d’intégrité parfaite au moment où ils étaient collés sur les lettres par l’employé de la poste. (…)
Par ailleurs, tous les timbres présentant une surcharge typograghique sont faux. Ils sont facilement reconnaissables dès que la surcharge marque le moindre foulage au verso ou dès que la surcharge, étudiée à la loupe, montre des rebords nets formant une ligne noire plus sombre que le centre du caractère. Cela est particulièrement facile à observer au niveau des chiffres de la surcharge. (…)
Il existe au moins certainement deux types de surcharges authentiques caractérisés par une légère différence dans la distance qui sépare SOUDAN de Fais, et par un décalage des chiffres de la valeur par rapport à la première ligne. L'E de français prolongé en bas tombe tantôt sur la boule qui termine à droite la boucle du 5, tantôt sur le milieu de cette boucle. Le 1, prolongé en haut, tantôt passe entre A et N, tantôt embroche la branche antérieure de l’N. Le trait vertical du D de Soudan, prolongé en bas, tantôt frise la convexité droite du zéro, tantôt passe un peu en arrière d'elle. (…)
La plupart des timbres dont j'ai pu seulement étudier la reproduction photographique portent l'oblitération de Kayes, et presque toujours d'avril 94. Quelques-uns sont oblitérés de Nioro ou de Bafoulabé ; un de Médine et même un de Sakal ! qui se trouve en plein Sénégal dans les environs mêmes de Saint-Louis. (…)
Professeur Maurice CHEVASSU”
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Passionnant
Merci beaucoup
Encore des informations philatéliques que nous ignorions